Sous la direction de Yauheni Kryzhanouski, Dominique Marchetti et Bella Ostromooukhova, Études et travaux, Paris, Editions Eur’Orbem, 2020, 144 p.
Le pari du présent ouvrage est de croiser deux regards sur la censure afin de souligner la diversité des mécanismes de contrôle et de contrainte qui s’imposent à la production et la diffusion culturelles contemporaines – ce qui n’exclut bien évidemment pas une perspective historique -, tout en dégageant aussi des homologies dans leurs applications, les facteurs de leur émergence et les effets qu’ils produisent sur les acteurs comme les structures. Au-delà de la diversité des approches théoriques et des disciplines des auteurs, cet ouvrage fait également surgir à travers sa lecture une comparaison entre plusieurs espaces politico-géographiques : les situations dans l’espace post-soviétique (Biélorussie et Russie), qui sont fortement privilégiées ici, sont mises en relation avec les cas marocain et français pour les médias, mais aussi un autre exemple français à propos de la littérature jeunesse. Dans son histoire comparée sur la censure dans l’édition littéraire en France au XVIIIe siècle, en Inde coloniale au XIXe siècle et en RDA au XXe siècle, Robert Darnton a montré tout l’intérêt de cette approche comparative pour décrire les relations entre auteurs et censeurs. De même, plusieurs numéros de revue (Bruyère et Touillier-Feyerabend, 2006 ; Brun et Roussin, 2020) et livres collectifs (Billiani, 2014 ; Martin, 2016) en langue française ont donné à voir comme cet ouvrage les logiques de contrôle à l’œuvre dans des champs culturels nationaux très différenciés. Ces mécanismes sont ici également analysés dans plusieurs champs de production culturelle, et non pas seulement dans l’un d’entre eux ou au sein de leurs fractions les plus prestigieuses : l’édition littéraire pour la jeunesse et les adolescents, le journalisme, le théâtre et la musique. Les types de terrain et les niveaux d’analyse varient eux aussi : certaines contributions se penchent sur un cas précis, d’autres s’appuient sur la comparaison d’un nombre plus important de situations de censure. Enfin, en rupture avec des livres de synthèse ou des essais de réflexion qui ont bien évidemment leurs logiques et leurs intérêts scientifiques, cet ouvrage entend plutôt analyser ces phénomènes de contrôle des biens culturels à partir de travaux de terrain de longue durée, c’est-à-dire avec une approche résolument empirique.
Sommaire
Regards croisés sur les modalités de la censure des productions culturelles (littérature, médias, musique et théâtre) dans différents espaces nationaux.
Yauheni Kryzhanouski, Dominique Marchetti & Bella Ostromooukhova
Les formes de contrôle politique sur les productions culturelles : musique protestataire et théâtre dans l’espace post-soviétique
- Nouvelles censures sous régime autoritaire. La musique protestataire en Russie et au Bélarus post-soviétiques.
Yauheni Kryzhanouski - La censure au théâtre russe : un instrument au service des valeurs nationales depuis 2012.
Marie-Christine Autant-Mathieu
Les économies de l’offre médiatique : les exemples français, marocain et russe
- Ce que le discours sur la « censure » empêche de voir.
Les contraintes éditoriales différenciées pesant sur deux émissions de télévision
en Russie.
Ivan Chupin & Renata Mustafina - Une double censure économique. Les sous-traitants des émissions de reportages à la télévision française.
Jérôme Berthaut - Une offre sous conditions. Les logiques contemporaines du champ du pouvoir marocain pour contrôler la presse nationale.
Abdelfettah Benchenna & Dominique Marchetti
Faire la « morale » dans l’édition littéraire : les enjeux autour de la « protection » de la « jeunesse »
- S’auto-censurer quand on écrit pour des adolescents. Le cas de l’ensemble romanesque Virus.
Florence Eloy & Tomas Legon - « Poneys roses », « valeurs traditionnelles » et « sujets difficiles » : la censure dans la littérature jeunesse russe, entre logiques politiques et commerciales.
Bella Ostromooukhova