Delphine Dulong, Premier ministre, CNRS Editions, Paris, 2021, 392 pages.
« Le Premier ministre existe-t-il ? Ce n’est pas sûr », pointait le politiste Maurice Duverger au lendemain de la promulgation de la Ve République. La nouvelle Constitution institue en effet un régime hybride inédit en plaçant à la tête du pouvoir exécutif deux dirigeants, le Premier ministre et le Président de la République, sans établir de hiérarchie nette entre eux, non plus qu’une claire division des tâches.
Situé au sommet de l’État, au point d’intersection de tous les espaces sociaux, le Premier ministre doit tout à la fois faire fonctionner le gouvernement, assurer les relations avec le Parlement et avec les administrations, recevoir les syndicats comme les représentants des collectivités locales et accueillir les dirigeants étrangers. Rien de moins. Dans le même temps, en vertu d’une règle tacite tôt établie par Charles de Gaulle, il doit s’effacer devant le Président, au point d’accepter d’être parfois ravalé au rang de simple « collaborateur »…
Cette contradiction entre ses importantes fonctions constitutionnelles et sa position dominée vis-à-vis du Président fait du poste de Premier ministre un point d’observation privilégié du fonctionnement et de l’évolution de la Ve République. Car ce rôle central s’est construit avec le temps, par la sédimentation de « précédents », plus encore qu’il n’a été défini en droit.
Soucieuse de rendre compte des effets de position comme de la stratégie des acteurs, des rapports de pouvoir comme des transformations institutionnelles, cette enquête socio-historique mobilisant archives, corpus de presse et témoignages offre un vif éclairage sur les six dernières décennies de la vie politique française et les incohérences qui la structurent.
Delphine Dulong est professeure de science politique à l’Université Paris 1, elle est notamment l’auteure de Sociologie des institutions politiques (La Découverte, 2012) et de La Construction du champ politique en France (Presses universitaires de Rennes, 2010).