"Changer ?" - Congrès de l’Association française de sociologie (AFS) Lille - Du 6 au 9 juillet 2021

Plusieurs membres du Cessp participent au 9 e Congrès de l’AFS. Retrouvez le programme complet des 50 réseaux thématiques ici.

Changer ?

« Il faut que ça change », « les gens changent », « le changement c’est maintenant », « il faut que tout change pour que rien ne change », « Sois le changement que tu désires voir en ce monde »…

Qu’on les juge profondes ou futiles, ces expressions, lieux communs ou citations nous sont familières, mais la crise de la Covid-19 a placé brutalement la question du changement au cœur du débat public concernant l’avènement possible d’un « monde d’après ». Dans les débats politiques, les points de vue d’experts, les discussions familiales ou amicales, alternent et s’affrontent les idées selon lesquelles le changement serait nécessaire, qu’il serait empêché, ou qu’il prévaudrait inéluctablement.

Le changement représenterait un défi posé aux sociétés, aux groupes sociaux, au personnel politique, aux individus, mais aussi aux sciences sociales supposées en rendre compte. Ce neuvième congrès de l’Association Française de Sociologie entend se saisir de cette question, à la fois classique et d’une actualité brûlante, en croisant les échelles d’analyse et les différents registres où elle peut être posée, en interrogeant la possibilité d’une sociologie du changement et ce qu’elle peut apporter à la connaissance du monde social.

1- Événements, transitions et changement

Le congrès de Lille 2021 sera l’occasion d’analyser, dans une perspective diachronique, ce qui fait et ce que fait le changement, que ce soit au niveau des individus, des organisations, des groupes ou des sociétés. Entre l’événement et les transitions structurelles, qu’est-ce qui produit du changement ? Comment le penser selon que l’« événement » se déploie à grande échelle (changements dans la biosphère, révolutions politiques, crises économiques, pandémies, etc.), à échelle nationale, moyenne ou organisationnelle ou encore à échelle individuelle voire intime des événements et bifurcations biographiques (maladie, naissance, mort, mariage, séparations, héritage, etc.).

En France comme dans le reste du monde, la question du changement, déjà très présente dans les mobilisations de l’hiver 2019-2020, a été réactivée par la pandémie : que devient-elle quand le regard sociologique la construit de manière empirique et scientifique ? Qu’est-ce qui rend possible, mais aussi qu’est-ce qui empêche ou limite le changement, qu’il soit socialement perçu comme positif ou négatif ? Quel est l’apport spécifique des sciences sociales sur ces questions ?

2- Changement social et transformations individuelles

Le changement social est un thème classique en sociologie, mais dont l’étude est loin d’être épuisée : comment une société change-t-elle, et surtout comment observer empiriquement et administrer la preuve de ses changements ? Saisir le changement, c’est aussi prendre en compte ce qui le limite, ou encore les permanences ou les reproductions qu’il ne parvient pas à affecter.

Il s’agit également d’interroger le lien entre le changement social et les transformations individuelles, ainsi que le sens de la causalité de l’un à l’autre. Dans quelle mesure les individus transforment-ils la société ? Et réciproquement, en quoi les transformations de la structure sociale peuvent-elles avoir des répercussions sur les trajectoires, les pratiques et les représentations individuelles ? Étudier en sociologue le changement social ne permet pas toujours, en effet, de dire grand-chose des transformations, conscientes ou inconscientes, intentionnelles ou non, qui opèrent au niveau individuel. Ces transformations individuelles nécessitent parfois un niveau d’analyse propre, qui exige d’ajuster et reformuler les questions macrosociologiques à l’échelon individuel : quelles en sont les pratiques, idéologies, conditions de possibilités ? Qu’est-ce qui les empêche ou les limite ? Dans quelle mesure les individus obéissent-ils aux injonctions à changer, que celles-ci soient informelles, institutionnelles ou même politiques, et quel est l’effet sur les conduites des diverses formes de contrôle social ou des politiques publiques ?

3- Quelle sociologie du changement ?

L’appel donnera également l’occasion aux congressistes de se pencher sur la sociologie elle-même, du point de vue de l’épistémologie théorique et pratique, ou du point de vue des usages transformateurs de la discipline.

Certains concepts — comme la reproduction — rendent-ils véritablement impossible de penser le changement ? Qu’en est-il des outils de la sociologie ? Certaines méthodologies semblent plus à même de cerner le changement, à l’image des approches longitudinales focalisées sur l’étude des flux et des variations dans le temps. Comment les concilier avec des approches plus transversales qui peuvent mieux rendre compte de la structure sociale et de sa forte inertie ? Plus largement, la sociologie peut-elle toujours, et peut-elle tout court, étudier l’événement, l’occurrence unique, l’historique ? Doit-elle pour ce faire s’articuler à d’autres disciplines, comme l’histoire, l’anthropologie, la démographie, la science politique ou l’économie par exemple, pour penser le changement et ses crises éventuelles ?

En outre, cette sociologie du changement permet-elle de changer le monde qu’elle étudie en esquissant des alternatives ? Est-elle nécessairement fataliste, ou peut-elle être transformatrice ? Quel est le rôle des sociologues (et plus généralement de la discipline) dans les débats publics sur la gestion des crises face aux changements, ou dans la fabrique des politiques publiques ?

4- La sociologie en changement

Enfin, il s’agira de s’interroger sur les changements et transformations qui affectent la sociologie elle-même, c’est-à-dire de tenter de saisir comment le monde —et le changement social— changent la sociologie. Quels seraient les effets éventuels des changements sociaux sur les concepts et les théories sociologiques, ces derniers doivent-ils changer quand le monde change, pour continuer à le saisir ? Dans la pratique, les injonctions à la “distanciation sociale” vont-elles changer la manière dont nous concevons le travail qualitatif ? Dans quelle mesure les transformations technologiques (internet, ordinateur, réseaux sociaux et “distanciel”…) ou encore l’essor de nouveaux types de matériaux et données massives (qu’ils s’agissent de données administratives ou issues d’internet) ont-ils transformé nos pratiques ? Comment l’internationalisation, en pratique et en injonctions, les modifie-t-elle du point de vue des déplacements, publications, ou du quotidien de notre discipline ? Quelles sont par ailleurs les conséquences des modifications substantielles de l’encadrement éthique et juridique du travail des sociologues (relations au terrain, pratiques professionnelles, statut des données…) sur leurs conditions d’exercice, leurs recherches et leurs résultats ? En ce qui concerne ensuite plus spécifiquement les politiques de la recherche, quels sont leurs effets pour la sociologie ? Ces effets sont-ils spécifiques à la discipline ? Ou encore, comment les transformations du monde de la recherche et de l’enseignement supérieur (par exemple la normalisation croissante de la précarité, la recherche “par projets” ou la multiplication des tâches) affectent-elles tant les conditions que les relations de travail (notamment du point de vue des statuts), ou encore le rythme même du travail scientifique ?

Ce sont tous ces changements dont il faudra tenter de se saisir en juillet 2021 à Lille — du moins si cette date n’est pas amenée… à changer ! En n’oubliant pas, comme nous le rappelle Maurice Halbwachs, que “tout changement, si léger soit-il, modifie les rapports de l’élément transformé avec tous les autres”, et que seule une approche relationnelle peut permettre d’analyser le changement même le plus ponctuel.