AAC - Les conditions raciales de l’enquête en sciences sociales

Appel à contributions

Dossier thématique de la revue Marronnages. Les questions raciales au crible des sciences sociales

Coordination : Daphné Bédinadé et Evélia Mayenga
Doctorantes au Centre européen de sociologie et de science politique

Les conditions raciales de l’enquête en sciences sociales

Ce dossier thématique de Marronnages propose d’interroger la manière dont les rapports sociaux de race façonnent la construction des dispositifs d’enquête et la conduite des terrains. En prenant pour objet les « conditions raciales » de l’enquête, c’est-à-dire la manière dont la race configure les pratiques d’enquête (choix des méthodes et des personnes, stratégies d’entrée, construction des relations, etc.), ce dossier vise à rassembler des contributions réflexives et intersectionnelles, attentives aux logiques de racialisation et à leurs implications empiriques. Par cela, il s’agit d’enrichir le corpus des travaux existants, en privilégiant des recherches prenant place en contextes francophones, en particulier (mais pas seulement) dans les « Nords », où les rapports sociaux de race ont encore peu été interrogés d’un point de vue réflexif et méthodologique. En questionnant ces conditions raciales des pratiques d’enquête, ce dossier entend faire de l’enquête en sciences sociales un lieu de production du savoir sur les rapports sociaux.

Extrait de l’argumentaire

En contexte francophone, la question de la relation entre la position sociale du·de la chercheur·se et son dispositif d’enquête reste relativement peu explorée. Depuis les années 1990 et le « tournant ethnographique » en sciences sociales, plusieurs travaux se sont intéressés à l’influence des rapports de classe en situation d’enquête (Bourdieu 1992 ; Jounin 2016 ; Laurens 2007 ; Mauger 1991 ; Pinçon et Pinçon-Charlot 1991). Néanmoins, les travaux attentifs à leur imbrication avec les rapports sociaux de genre (Clair 2016 ; Cuny 2020 ; Darmon 2005 ; Kocadost 2017 ; Le Renard 2010) et, plus encore, avec ceux de race (Boukir 2016 ; Gouirir 1998 ; Mazouz 2008, 2015 ; Quashie 2020a) sont encore peu nombreux. Les effets de la position du·de la chercheur·se dans les rapports sociaux de race sur la construction du dispositif d’enquête sont pourtant déterminants, en particulier (mais non seulement) lorsque l’enquête se donne pour ambition de rendre compte des processus de racialisation. Avant d’être un système d’antagonismes hiérarchisant des groupes racisés, la race est une relation sociale, rejouée dans l’interaction (Essed 1991 ; Guillaumin 2016 [1992] ; Mazouz 2015 ; Poiret 2011). Produite et continuée institutionnellement, elle l’est aussi en face-à-face, quotidiennement, dans un jeu de regards duquel personne, pas même le·la chercheur·se, n’est affranchi·e (Fanon 1952).

Certains courants (Critical Race Studies, Whiteness Studies, Gender, Class & Race Studies, Black & African-American Studies…) ont produit de premières réflexions méthodologiques explorant la place des rapports sociaux de race dans l’enquête (Bulmer et Solomos 2004 ; Essed 1991 ; Stanfield et Rutledge 1993 ; Twine et Warren 2000). Des travaux, issus notamment des féminismes of color et du Black feminism ont introduit des débats sur l’épistémologie du point de vue, invitant à la fois à faire naître le savoir de « l’expérience vécue », et à dé-neutraliser le point de vue parlant (Anzaldúa et Moraga 2015 [1981] ; Combahee River Collective 2006 [1977] ; Hill Collins 1986, 1990 ; Lorde 2018 [1984]). Les Indigenous Studies, les Subaltern Studies, les Postcolonial Studies et les courants décoloniaux, enfin, en s’attachant à historiciser et à souligner le caractère eurocentré des méthodes d’enquête, ont contribué à la recherche de nouvelles formes de production du savoir, qui déferaient les relations d’exploitation et d’appropriation des peuples autochtones et des chercheur·se·s locaux qui ont marqué l’histoire des sciences humaines et sociales occidentales (Chilisa 2012 ; Quiroz 2019 ; Smith 1999 ; Spivak 2020 [1988]).

En France, ces critiques et ces paradigmes ont pu être intégrés aux débats méthodologiques autour des pratiques ethnographiques (Bensa et Fassin 2008). Elles se reflètent aussi dans des travaux réflexifs nourrissant la compréhension des processus de racialisation, tantôt en contexte républicain français (Mazouz 2008 ; Boukir 2016), tantôt dans le cas de chercheur·se·s des « Nords » se déplaçant aux « Suds », s’exposant ainsi à de nouveaux régimes de racialisation (Quashie 2020a).

Mais si la question de la relation d’enquête et de la position du·de la chercheur·se commence à être explorée, l’approche de la recherche sous l’angle des rapports sociaux de race mérite d’être largement poursuivie. Dans cette optique, ce dossier thématique de Marronnages propose d’interroger la manière dont les rapports sociaux de race façonnent la construction des dispositifs d’enquête et la conduite des terrains. En prenant pour objet les « conditions raciales » de l’enquête, c’est-à-dire la manière dont la race configure les pratiques d’enquête (choix des méthodes et des personnes, stratégies d’entrée, construction des relations, etc.), ce dossier vise à rassembler des contributions réflexives et intersectionnelles, attentives aux logiques de racialisation et à leurs implications empiriques. Par cela, il s’agit d’enrichir le corpus des travaux existants, en privilégiant des recherches prenant place en contextes francophones, en particulier (mais pas seulement) dans les « Nords », où les rapports sociaux de race ont encore peu été interrogés d’un point de vue réflexif et méthodologique. En questionnant ces conditions raciales des pratiques d’enquête, ce dossier entend faire de l’enquête en sciences sociales un lieu de production du savoir sur les rapports sociaux.

Attendus

Pour explorer les conditions raciales de l’enquête, les propositions devront s’appuyer sur des matériaux empiriques originaux (recherches en cours ou terminées), qui ne se limiteront pas nécessairement à des données ethnographiques et/ou d’entretien, mais dont la récolte pourra être analysée à l’aune de ce que lui font les rapports sociaux de race. Les recherches sur la race et les processus de racialisation n’étant pas les seuls lieux de manifestation de la race dans l’enquête, les propositions pourront inviter à poser cette question dans le cadre de travaux portant sur des objets différents. Par ailleurs, la race se produisant à l’intersection d’autres rapports sociaux (de genre, de classe) et croisant d’autres formes de minorisation (âge, sexualité, handicap, santé, religion, statut migratoire ou administratif, conditions de vie matérielles et mentales, etc.) les propositions devront prêter attention à l’articulation de ces différentes assignations.

Ces matériaux et ces objets devront être présentés avec précision dans la proposition, et s’inscrire dans l’un ou plusieurs des trois axes thématiques de l’appel :

  • Le corps du·de la chercheur·se, les assignations et formes de racialisation dont iel fait l’objet comme lieu de production du savoir sur les rapports sociaux de race ;
  • Les stratégies mises en œuvre à partir de ces assignations pour conduire l’enquête ;
  • Les phénomènes d’appropriation et de domination engendrés par les rapports sociaux de race traversant l’enquête et les méthodes alternatives mises en place pour les limiter.

Calendrier

  • 26 septembre 2022 : date limite d’envoi des propositions de résumés
  • Octobre 2022 : réponse sur les propositions
  • 27 février 2023 : envoi des V0 des articles aux coordinatrices, suivis d’échanges entre coordinatrices et auteur·e·s
  • 1er mars 2023 : soumission des articles au rédacteur en chef et envoi en expertise
  • Avril 2023 : comité de rédaction
  • Mai 2023 : soumission des V2
  • Automne 2023 : secrétariat de rédaction et maquettage
  • Décembre 2023 : parution du numéro